Quand la Bulle du Mississipi ruina le royaume de France

Lorsque le XVIIe siècle toucha à sa fin, la France et la Grande-Bretagne se disputèrent avec acharnement la domination de l’Amérique du Nord. Au commencement, la France parut être dans une position bien plus forte. Elle était plus étendue que sa rivale, plus riche, plus peuplée et elle possédait une armée plus grande et plus expérimentée. Mais, contrairement à la France, la Grande-Bretagne sut gagner la confiance du système financier. Particulièrement notoire fut le comportement de la Couronne française au cours de ce qu’on a appelé la bulle du Mississippi, la plus grande crise financière de l’Europe au XVIIIe siècle. Au départ, on retrouve une compagnie par actions bâtisseuse d’empire.

En 1717, la Compagnie du Mississipi, installée en France, entreprit de coloniser la vallée du Mississipi inférieur, créant au passage la ville de la Nouvelle-Orléans. Pour financer ses projets ambitieux, la Compagnie, bien introduite à la cour de Louis XV, vendit des actions à la Bourse de Paris. John Law, le directeur de la Compagnie, était aussi le gouverneur de la Banque centrale. Le roi le nomma de surcroît contrôleur général des finances : poste grosso modo équivalent à celui de ministre des Finances de nos jours. En 1717, la vallée du Mississipi inférieur offrait peu d’attraits, hors des marais et des alligators, mais la Compagnie du Mississipi répandit le bruit de richesses fabuleuses et d’opportunités sans bornes. Aristocrates, hommes d’affaires et membres flegmatiques de la bourgeoisie se laissèrent prendre par ces chimères, et le cours des actions s’envola. Dans un premier temps, les actions se vendaient 500 livres pièce. Le 1er août 1719, elles se négociaient à 2 750 livres. Le 30 août, elles valaient 4 100 livres, et le 4 septembre 5 000 livres. Le 2 décembre, le prix d’une action de la Compagnie du Mississipi franchit le seuil des 10 000 livres. Une vague d’euphorie déferla dans les rues de Paris. D’aucuns vendirent tous leurs biens et souscrivirent d’énormes emprunts pour acquérir des actions. Tout le monde croyait avoir découvert un moyen d’enrichissement facile.

John Law (1671-1729) banquier et économiste franco-écossais.

Quelques jours plus tard, c’était la panique. certains spéculateurs comprirent que le cours des actions était totalement irréaliste et insoutenable. Ils se dirent que mieux valait vendre tant que le cours était au plus haut. L’offre augmentant, le prix baissa. Les autres investisseurs, voyant le prix chuter, voulurent aussi se débarrasser de leurs actions en vitesse. Le cours continua de chuter, provoquant une véritable avalanche. Pour stabiliser les prix, la Banque de France – dont le gouverneur était John Law – acheta des actions de la Compagnie, mais elle ne pouvait le faire éternellement. Et elle finit par être à court d’argent. Quand cela arriva, le contrôleur général des finances – le même John Law – ordonna de faire marcher la planche à billets pour acheter des actions supplémentaires. Du coup, c’est le système financier français tout entier qui fut pris dans la bulle. Ce tour de magie financier ne réussit pas. Le cours des actions chuta de 10 000 à 1 000 livres, puis s’effondra carrément jusqu’à perdre toute valeur. La Banque centrale et le Trésor royal possédaient une grosse quantité d’actions sans valeur et n’avaient plus d’argent. Les gros spéculateurs s’en sortirent largement indemnes : ils avaient vendu à temps. Les petits investisseurs avaient tout perdu. Beaucoup se suicidèrent.

La manière dont la Compagnie du Mississipi se servit de son poids politique pour manipuler les cours des actions et alimenter la frénésie d’achats ruina la confiance dans le système bancaire français et la sagesse financière du roi. Louis XV eut de plus en plus de mal à trouver du crédit. Ce fut l’une des principales raisons de la chute de l’Empire français d’outre-mer entre les mains des Britanniques. Alors que ceux-ci pouvaient emprunter aisément et à faible taux d’intérêt, la France avait du mal a obtenir des prêts et on exigeait d’elle des intérêts plus élevés. Pour financer ses dettes croissantes, le roi de France empruntait de plus en plus d’argent à des taux d’intérêt toujours plus élevés. Dans les années 1780, Louis XVI, qui était monté sur le trône à la mort de son grand-père, finit par comprendre que son budget annuel était contraint par le service de la dette et qu’il courait à la banqueroute. A contrecoeur, en 1789, Louis XVI réunit les Etats généraux – le parlement français qui n’avait pas siégé depuis un siècle et demi – afin de trouver une solution à la crise. Ainsi commença la Révolution française.

Extrait de Sapiens Une breve histoire de l’humanité – Yuval Noah Harari – Albin Michel

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