Chan Chan : une cité au cœur du royaume Chimu

Nancy Guerrero est administratrice du site archéologique de Chan Chan sur la côte nord du Pérou. Les visiteurs peuvent aujourd’hui découvrir ses vestiges remarquablement conservés malgré les pluies, le vent et les tremblements de terre.

La cité de Chan Chan fut entièrement construite en adobe et constitua le siège de la civilisation Chimu qui précéda les Incas de plusieurs siècles. Quand fut-elle découverte ?

Nancy Guerrero : Chan Chan n’a pas été découverte. Elle est connue depuis toujours. Les voyageurs, nous ont seulement laissé des informations et des références du site. Scientifiquement, les premiers explorateurs ont commencé à étudier le site à partir de 1800. Mais la recherche s’est surtout accentuée au 20e siècle. Des familles de Trujillo se sont organisées et ont motivées des demandes de recherche auprès des autorités si bien qu’en 1967 Chan Chan était considérée comme une zone inconstructible.

Nancy Guerrero
Nancy Guerrero.

À partir de ce moment là des activités un peu plus complexes ont débuté sur le site, et à la fin des années 60, vers 1969 -1970, des activités de conservation, de recherche ont été entreprises. En 1986, l’UNESCO a intégré Chan Chan au Patrimoine Mondial. L’idée est de diffuser plus d’informations sur le complexe archéologique afin que les voyageurs qui visitent le Pérou n’aient pas uniquement comme alternative le Machu Picchu, mais aussi d’autres site à découvrir au nord, comme cette gigantesque cité entièrement construite en argile.

Il y a plusieurs endroits intégrés au Patrimoine de l’Humanité, et l’un d’eux c’est ce complexe archéologique, une œuvre monumental Chimu. La civilisation Chimu est antérieur aux Incas, elle s’est développée entre le siècle IX et le siècle XV après JC. Chan Chan se trouve à une heure de la ville de Trujillo, une ville fondée par les espagnols, et c’est un bel exemple de planification et d’urbanisme. Les constructions sont anti-sismiques car le Pérou a connu bien des tremblements de terre depuis des millénaires, et la ville de Chan Chan tient encore debout !

Les couches de protection et de conservation sont affectées, certes, à cause des pluies acides qui sont de plus en plus fréquentes. Mais ici nous pouvons voir non seulement la planification de la ville et ses constructions anti sismiques, mais aussi que les Chimu ont tenu en compte de la sécurité et du contrôle de la circulation. On le voit avec le jeu des murs qui permet de créer un microclimat à l’intérieur. Il y a des murs creux, qui aident à l’illumination, à la ventilation, et qui permettent que les espaces soient plus frais, plus habitables.

Aussi pour faire face aux pluies, même si n’étaient pas alors si fréquents, on peut observer que les adobes utilisés sont mixtes, avec des éléments de coquillages moulus, des fragments de céramiques, qui on permis, et permettent encore, de supporter l’érosion des pluies et du vent.

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Les murs en nid d’abeilles à Chan Chan.

Pourquoi les Incas ont-ils détruit la civilisation Chimu ?

N. G. : Je n’utiliserait pas le terme « détruire », puisque les Incas n’ont pas détruit des peuples. Une partie de leur expansion culturelle se faisait en intégrant les peuples par la voie pacifique et, d’autres par la force. Les Incas ont imposé la crainte oui, mais pas la destruction. Ils essayaient d’intégrer les apports des différents peuples pour leur propre développement culturel, qui devenait ainsi chaque fois plus complexe. Mais il est vrai qu’ils ont utilisé la force avec la population Chimu des pour des motifs religieux et de conquêtes.

Les Chimus ont connu au début, un développement et une apogée puis un affaiblissement quand les Incas les ont intégré à leur territoire.

Ils avaient une religion différente de celle des Incas ce qui va engendrer une forme de rébellion. C’est alors que les Incas provoquaient des incendies dans la ville avant finalement de les intégrer à leur territoire. Il ne faut pas oublier que les Incas avaient une adoration pour le soleil, et que les Chimus vouaient plutôt un culte à la lune. Ceci va amener un conflit entre les deux peuples dû à des différences idéologiques.

En tant que peuple organisé les Chimus ont duré plus de 500 ans ce qui a fourni toute une série de contributions culturelles à la civilisation Inca.

Les recherches nous on fait comprendre que lorsqu’ils sont arrivés à Chan Chan, les Incas amenaient avec eux les meilleurs experts en travaux des métaux mais aussi en construction, et pour quoi ne pas penser aussi à des experts en navigation.

Étant donné qu’il y avait des civilisations côtières avec des années d’expérience en mer, peut-être qu’elles ont contribué à ce que des voyageurs courageux, comme l’Inca Tupac Yupanqui, puissent parvenir à d’autres terres.

Les murs en forme d’alvéoles à Chan Chan.

Les Chimu se sont toutefois vengés des Incas en aidant les espagnols ?

N. G. : Dans ces temps anciens la parole était très importante. Quand les espagnols sont arrivés, ils ont trouvé un contexte favorable pour vaincre les Incas. Un climat propice, pour ainsi dire. Il y avait un fort ressentiment des Chimus à l’égard des Incas qui existait depuis des décennies, non seulement dans les populations de la côte, mais aussi dans la montagne. Certes, les Incas intégraient les peuples par la voie pacifique, ou par la force, mais il y avait aussi de nombreuses populations qui sont restés fidèles à leurs pratiques, comme le culte à l’eau, à la lune. Pas nécessairement au soleil.

Ce ressentiment a refait surface quand les espagnols sont arrivés. Les Chimus ont jugé que le moment était venu d’affronter les Incas. Ils auront alors beaucoup d’appui, mais quand ils réalisèrent que les espagnols ne venaient pas seulement pour vaincre les Incas, mais aussi piller des trésors, il était trop tard. Commence alors une étape de profanations et de pillages, que la population n’accepta jamais. On pense que beaucoup de momies ont été occultés pour les descendants. Car pour les indiens, les ancêtres étaient beaucoup plus importants que les objets en or ou en argent qui les accompagnaient. L’or servait principalement à embellir les temples et les sites funéraires. L’important pour eux résidait dans les cérémonies avec le culte des ancêtres par la momie, bien plus que l’or.

Propos recueillis par Edouard Maire – Février 2010.

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